Architecture, Illustration, Recherche
24.06.2022

P036    Flânerie(s)


Les Flâneries décrivent en premier lieu une sorte d’errance sans véritable but. Ou plutôt une volonté de raconter avec délicatesse ce que signifie « être architecte ». Elles relèvent de quelque chose de presque personnel, et brossent le portrait d’une vision, celle de l’architecte-flâneur. Cet artiste « dont l’esprit est indépendant, passionné, impartial », et « que la langue ne peut que maladroitement définir ». De ce fait, Flâneries interroge l’architecture dans son sens le plus profond. Est-elle vraiment « le jeu savant, correct et magnifique des volumes sous la lumière. » ? 

L’architecture est un art de concevoir dans le but d’une édification. De ce processus créatif, presque intuitif, naît l’envie et le besoin de proposer des promenades et des histoires d’architectures. Alors que l’architecture s’intéresse au « où » et au « comment », les histoires, elles, dialoguent avec le « quoi » et le « pourquoi ». 

Flâneries diffère des représentations traditionnelles d’architecture, car elles ne sont ni l’expression d’idées fantaisistes, ni de projet réel. Elles questionnent l’architecture, et de pair son traditionnel mode de représentation, constitué de plans, coupes, perspectives, ou encore axonométries. 

Flâneries sont des séries d’histoires fictives, qui jouent autant avec les codes de l’imagination que ceux de la réalité. Du verbe latin fingere, signifiant manier, toucher, composer, inventer, modeler ou encore imaginer, la fiction décrit un espace malléable, offrant la possibilité d’être façonné et manipulé autant par l’irréel que le réel. De ce postulat, la fiction transverse tous les domaines créatifs, allant du cinéma à la littérature, en passant par le théâtre, les jeux vidéos ou encore le roman graphique. Une histoire fictionnelle est libre. Sa ressource fondamentale, mais aussi sa seule limite, n’est autre que l’imagination. Elle peut être contée de toutes les manières possibles, que ce soit oralement, par écrit, ou dessiné, tel un roman graphique.

Plus qu’un outil de représentation, mais « d’observation pour décrypter le monde », le dessin va puiser tout au long du processus ses sens les plus cachés. De l’italien disegno, qui signifie initialement l’intention, le projet, et la pratique, le dessin ne se définie pas nécessairement comme une simple illustration. Le génie du dessin, presque indescriptible, peut se présenter comme « une modalité de pensée de son auteur ». La main pensante assimile une image à une idée. Pour se faire, en amont de l’élaboration des récits d’architectures Flâneries, il faut surtout savoir dessiner. 

Une pratique doit être développée régulièrement et rigoureusement, à l’aide d’outils choisis… 

NON, c’est bien plus que ça !

Derrière un dessin, se dissimule un travail indicible. Un travail de construction et de recherche infini, dont il serait vain de tenter d’en expliquer les étapes. Le dessin ne débute sûrement pas à l’instant où le crayon effleure le papier, mais bien avant. C’est force d’expérimentations, de pratiques et d’observations que des résultats convaincants apparaissent. 

La maîtrise de son art, indissociable de son langage, ne se résume pas au pinceau employé, à la position du corps adoptée ou au grain de papier utilisé. D’un investissement en temps, d’une expérience acquise au fur et à mesure, et d’essais parfois fructueux ou au contraire désespérants, le savoir est le fruit d’une élaboration longue et labyrinthique.

De ce fait, l’intention de ce mémoire ne cherche pas à fournir un dispositif prêt à l’emploi, mais au contraire d’en présenter une démarche construite par un apprentissage empirique. Flâneries est un « work-in-progress », une recherche constante de nouveaux outils de pensée et de conception du projet d’architecture.

La méthode fait écho aux travaux de l’architecte français Bernard Tschumi, dont pour lui l’architecture « ne peut plus être simplement une façon d’organiser les espaces, mais plutôt une modalité d’expérience et une façon de vivre »1. Tschumi publie ses grands essais Manifestoes et The Manhattan Transcripts, respectivement en 1978 et 1981, qui questionnent l’architecture à travers des propositions théoriques exécutées par le dessin.

Nécessairement, il semble aussi logique d’évoquer l’architecte suisse Luca Merlini, dont son univers invite des imaginaires aussi inattendus que somptueux. Adepte de la ligne claire, Merlini exprime des idées fictions à travers des dessins au contour assuré, et des couleurs en à-plat, évoquant les images de bande dessinée. Une démarche atypique, explicitée dans Le XIQ publié en 2017 et Le Pays des maisons longues en 2010, qui nous emmènent dans un voyage intemporel de projets d’architectures.

Flâneries s’inspire de ces logiques de fabrications et d’expérimentations, et ouvre à son tour la marche dans une promenade riche et onirique à travers fiction et dessin, répartie en six temps :

Temps I, Fragment

Temps II, Frénésie

Temps III, Fabulation

Temps IV, Fantasmagorie

Temps V, Fiction

Temps VI, Fiction2.

Le mieux serait de suivre la voie étroite entre la maîtrise et l’abandon, dont le point de départ ne serait plus d’ouvrir les yeux mais de les fermer, et de laisser surgir des images pour mieux s’y perdre et les dévorer. Une sorte d’idéal à prolonger composé de rêves et de références qui nous traversent en nous obligeant à la fois à être concrets et sensibles.

Temps I, Fragments
de cinéma, de peinture, de poésie, de littérature, d’architecture, et de romans graphiques, il faut sélectionner, cadrer, choisir, pour tenter d’éclairer un univers dans lequel il faut se laisser dériver sans chronomètre et sans boussole. Véritable atlas d’un chaos sans fin et d’une vitalité intraitable dont chaque fragment serait un titre et chaque histoire une lumière.

Temps II, Frénésie
de dessins pour que ces volumes restent aussi purs et libres qu’ils étaient, et pouvoir maintenant leur donner un tout autre contexte que celui qu’ils connaissaient. Et c’est là que l’ailleurs s’impose. Il faut les dessiner, les re-dessiner et les re-dessiner encore, dans un instinct presque animal. Pour se les approprier bien sûr, mais surtout pour éclairer un parcours que l’on risquerait de trop simplifier. 

Temps III, Fabulation
une histoire plutôt que des parcelles, un énoncé plutôt qu’une structure. Ce sont les triptyques, assemblages de dessins, avec un début, un milieu et une fin, traversés par d’étranges personnages suivant un itinéraire que personne ne saurait dérouter.

Temps IV, Fantasmagorie
une unité cachée à laquelle ces histoires renvoient obligatoirement. Comme si les volumes projetés auparavant sur l’écran ou imprimés sur papier, avaient cette fois-ci besoin de confrontations plus solides, souples et plastiques. Série de maquettes comme autant de muscles et de tendons à installer dans un souci d’équilibre, accepter qu’à d’autres besoins correspondent d’autres types et que le projet soit un lieu d’invention, accueillant à qui viendra y flâner. 

Temps V, Fiction
entre réalité et imaginaire, c’est enfin la concrétisation du périple pour certains. Les plus chanceux, conçus en de véritables projets, s’émancipent. Les autres, alignés sur l’étagère, devront patiemment attendre leur tour.

Temps VI, Fiction2
un voyage, pas une destination. En perpétuel mouvement entre fini et infini, début et fin, commencement et accomplissement, la trajectoire du parfait flâneur décrira celle d’un cercle. 

Dans sa marche éternelle, sans début ni fin, un projet de maison idéale apparaîtra, fruit d’un travail de recherche par l’assemblage des Flâneries.


Prix de la Jeune Architecture
Nomination au concours Archiprix

Mémoire de Fin d’Études
École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon
Sous la direction de Gilles Desevedavy et Jean-Louis Bouchard
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